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Gestion Mentale
des valeurs // des concepts // des pratiques

Témoignage de Claire Lejeune



Paru dans la Feuille d'IF n° 15 de décembre 2007.

De la compréhension à la créativité.

Depuis 1992, l’émission de la RTBF « Noms de dieux », animée par Edmond Blattchen, a reçu 133 grands noms de la pensée contemporaine. Au départ, il s’agissait d’un projet très modeste, puisqu’il avait été prévu de programmer quatre éditions à titre expérimental. Depuis 15 ans, « Noms de dieux » offre à un public, certes restreint, mais fidèle, des rencontres inédites avec des femmes et des hommes qui, comme le disait Hubert Reeves, invité en 1993, se sont laissés interpeller « dans des zones inhabituelles mais passionnantes ».

Professeur au lycée de Berlaymont (enseignement général), j’utilise depuis plusieurs années ces entretiens avec les élèves de sixième, dans le cadre du cours de religion. Je ne suis pas la seule à y avoir pensé, comme en témoigne l’expérience menée par un professeur de religion du lycée Saint-Jacques à Liège qui a abouti à l’enregistrement de la 100e émission « Place aux jeunes ».

A priori, et Edmond Blattchen l’a clairement dit aux jeunes présents sur le plateau ce jour-là, ce type d’émission n’est pas leur « tasse de thé ». En effet, tant la présentation austère du face à face avec, pour seul décor, des variations de lumière, que les propos, parfois abstraits ou complexes, pourraient rebuter de jeunes téléspectateurs. C’est là, me semble-t-il, qu’intervient la pédagogie. Comment procéder pour que des filles et des garçons de 18 ans se rendent attentifs, réfléchissent, comprennent, prolongent la richesse humaine et intellectuelle de ces dialogues ?

Le concept de l’émission est déjà un outil pédagogique en soi, puisqu’il sollicite des paramètres et opérations mentales variées par un découpage en cinq séquences spécifiques (le titre, l’image, la phrase, le symbole, le pari). En effet, chaque invité est amené à réécrire « Noms de dieux » à sa façon, en jouant sur les mots ou en en trouvant d’autres afin d’exprimer au plus près ses convictions philosophiques ou religieuses. Il commente ensuite une image qu’il a sélectionnée en fonction de ce qu’elle lui dit du monde d’aujourd’hui, puis il explique une phrase de son choix, la contextualise et dit pourquoi elle l’interpelle particulièrement. Par le biais d’un objet symbolique, l’invité dévoile une valeur qui lui tient à cœur et il conclut l’échange avec le pari qu’il estime indispensable de relever pour l’humanité dans les années à venir.

Ces cinq rubriques balaient tour à tour (entre autres) la capacité à transformer, à passer à la première personne, à imaginer (titre), à globaliser, synthétiser, à faire appel à son « cerveau droit » (image et symbole), à comprendre et à reformuler (phrase), à anticiper à partir d’une situation présente (pari)…

 

Voici, étape par étape, comment j’exploite l’émission.

Dès la rentrée, je fais évoquer le fil conducteur du cours par les élèves et les mets en projets de réaliser leur « Noms de dieux » personnel pour le mois de juin.

Au mois de novembre, ils découvrent l’émission à travers les deux premières séquences de l’interview du philosophe français André Comte-Sponville. Ils sont prévenus que l’invité s’adresse à un public adulte averti, mais qu’on prendra ensemble le temps nécessaire pour reformuler et intégrer ses arguments. D’emblée, le philosophe justifie son choix de l’athéisme et fait référence aux propos de Marx et Freud sur la religion (vus précédemment au cours). Les élèves ont reçu la consigne de prendre note prioritairement des liens avec le cours, car le rythme de l’entretien est soutenu. Une mise en commun orale est prévue après chaque partie de l’émission et une autre heure de cours permet de mettre de l’ordre dans les notes prises au vol et de vérifier, pour chacun, sa compréhension. Pour le dire autrement, 20 minutes (2 séquences ou 2x10 minutes) d’émission nécessitent deux heures de cours. En général, les élèves apprécient de se confronter à une pensée qui parfois les dépasse, mais les stimule, si bien sûr, un temps d’évocation suffisant a été respecté (l’outil permet les arrêts, les retours en arrière…).

Après les vacances de Pâques, les élèves sont à nouveau sollicités pour préparer, cette fois activement, le « Noms de dieux » personnel qu’ils présenteront oralement à l’examen final. L’expérience m’a montré que la trame de l’émission, contraignante à première vue, était un support fabuleux pour la créativité, alors que l’exercice (classique du genre) d’un credo personnel ex nihilo en inhibait plus d’un. Les élèves comprennent bien qu’il ne s’agit pas de « mettre son cœur sur la table», mais de saisir l’occasion de s’arrêter, de faire le point et d’exprimer ses positions.

Pour inspirer ceux qui sont à l’aise dans la reproduction ou dans le prolongement direct, je montre quelques séquences avec des invités d’horizons divers ou encore l’émission « Place aux jeunes » de 2003 dans laquelle dix jeunes diplômés, sortis de rhétorique quelques mois auparavant, répondent deux par deux aux cinq propositions d’Edmond Blattchen. L’identification est dans ce cas très aisée.

L’élaboration du travail proprement dit se fait en dehors des heures de cours, mais je suis disponible pour les élèves qui m’interpellent afin de repréciser les consignes ou qui hésitent entre plusieurs choix possibles d’images, de phrases…

Dernière ligne droite : avant de clôturer leur examen, les élèves présentent le nouveau titre de l’émission, reflet de leurs convictions, l’image et l’objet symbolique qu’ils ont pris soin d’emporter avec eux, la phrase et le pari (celui-ci est souvent en lien avec leur choix d’études et l’avenir professionnel qu’ils entrevoient).

Si, comme je le crois, le jeu en vaut la chandelle pour les élèves, pour l’enseignante que je suis, cette prestation continue à me passionner et à m’émouvoir, car elle est une occasion à la fois simple et extraordinaire de découvrir ce que les jeunes « ont dans le ventre ».

Claire Lejeune,
Lycée de Berlaymont Waterloo.


NB : Les enregistrements de ces émissions ne sont pas disponibles dans le commerce, mais il est possible de les louer à la Médiathèque de la Communauté française de Belgique.

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