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Gestion Mentale
des valeurs // des concepts // des pratiques

Témoignage de Ruhina Dhalla et Marie-Thérèse Blocteur


Paru dans la Feuille d'IF n° 14 de juin 2007.

Au coeur des projets de sens !

Ruhina Dhalla et Marie-Thérèse Blocteur interviennent auprès d’élèves ou de groupes en difficulté dans l’enseignement secondaire général. Elles font partie de l’équipe éducative l’une au titre de psychopédagogue, l’autre au titre d’éducatrice. Toutes deux sont formées à la gestion mentale. Elles ne sont pas membres du centre PMS qui intervient dans leur école.

Ce « rien » (1) n’est pas du vide, ce « rien » a du sens !

Dans notre travail il nous semble impossible de séparer émotion et cognition, même si nous distinguons la souffrance liée à des événements privés d’une part et l’émotion de plaisir ou de rejet liés à l’apprentissage d’autre part. Notre action consiste à accompagner une « errance » existentielle et/ou pédagogique afin de les aider à mettre des mots sur ce qu’ils vivent, à favoriser un recadrage, donc à sérier les problèmes et surtout à inviter au sens. Sommes-nous sur le versant pédagogique ou psychologique ? Il est parfois difficile de le dire. Par ailleurs, nous savons que la gestion mentale a depuis longtemps développé une démarche dite « des moyens d’apprendre » d’une part et que d’autre part Antoine de La Garanderie a beaucoup développé dans ses ouvrages récents un autre versant de sa démarche en approfondissant « les projets de sens » et même « le projet d’être».

Certains élèves nous consultent pour des problèmes précis. L’accompagnement est alors ciblé et clair, nous intervenons à partir des « moyens d’apprendre ». Mais souvent des élèves n’ont pas de demande du tout mais viennent malgré eux, à la demande de certains adultes (professeurs, éducateurs, parents) parce que quelque chose ne va pas bien ; d’autres encore ont une demande beaucoup plus large, plus diffuse car il ne il ne s’agit que de simples pannes comme par exemples le manque de travail, la démotivation, la paresse, la difficulté à se mettre au travail…. Ils savent donc ce qui ne va pas et ils pensent qu’une fois qu’ils s’y mettront tout ira. Ils n’ont pas besoin de notre aide. Notre intervention consiste alors à les surprendre :

- Ton manque de travail est une réponse à quelque chose. Ce n’est pas « rien ». Ce « rien » n’est pas un « vide », ce « rien » a du sens. En ne faisant rien, tu te dis, tu nous dis quelque chose, mais ni toi ni nous ne comprenons… »

Nous les étonnons en leur parlant de sens. C’est même un choc pour certains. En tant que médiateurs nous les avons reconnus comme êtres de sens, nous leur disons que le « rien » est important, qu’il doit être décodé. Le rien, la difficulté est un signe salvateur. Le choc, pour eux, est de comprendre que l’impasse dans laquelle ils croient être a une issue. Nous pouvons alors entamer un travail sur leurs projets de sens. Ce travail sera le plus rapidement possible poursuivi sur le terrain strictement pédagogique.

Cette attitude n’est possible que si nous, en tant que médiateurs, nous sommes au clair avec la fécondité de l’erreur, avec le tâtonnement humain, avec le regard qui cherche le sens au-delà des limites.

Nous les voyons alors réfléchir, essayer de mettre des mots sur ce qu’ils vivent. C’est parfois très douloureux. Pour certains, le choix qu’on a fait à leur place ne rejoint pas leurs projets de sens, pour beaucoup la mise en mots est difficile parce qu’ils se sentent entravés par le langage. Ils n’ont pas beaucoup de mots à leur disposition pour cette exploration.

Nous nous disons souvent qu’un jeune qui ne dit rien est quelqu’un qui a trop à dire ! L’adolescence est une période de recherche de soi et de sens et ils ont besoin de rencontrer des adultes qui sont prêts à accompagner leur « errance » sans jugement et qui considèrent celle-ci comme un élément déclencheur nécessaire à une certaine prise de conscience. Nous savons combien il leur est difficile de croire en eux, de se reconnaître en tant qu’être humain avec un potentiel, avec une étincelle de quelque chose. Qui sont-ils ? Où se sont-ils arrêtés face à l’ampleur des questions et des choix ? Quel chemin de traverse ont-ils emprunté ?

Arrêtons-nous à trois exemples :

Bienvenue dans l’humanité !

Certains jeunes veulent conserver ou atteindre une perfection, d’autres encore décident de ne rien faire et d’attendre que « ça » (se) passe. Quels enjeux y a-t-il? Aller au-delà de ce qu’on voit et réfléchir à ce qui a derrière « ça » avec un adulte qui cherche avec lui le sens caché de ses actions. C’est peut-être une façon de laisser la place au « désir »… Bienvenue dans l’humanité !

Un soulagement, oui, parce qu’un désir est reconnu. La capacité de vivre les limites et accepter le tâtonnement et l’incertitude (2). C’est cela accompagner, rassurer et témoigner qu’il y a un sens à trouver :

- Rien n’est sûr et certain, du coup tout est possible !

L’incertitude, la limite impliquent un espace de liberté ! Nous revoilà dans les projets de sens.

Me trahir … !

Cette élève se sentait enfermée dans trop de certitudes qui la gardaient dans un cocon douillet et à l’écart de la réalité… A chaque question il y avait des réponses prescriptives :

- Je suis dans l’incertitude et l’on me dit : « Non c’est cela ! » Rentrer dans ce monde de certitude ce serait me trahir.

Trahison de soi-même si on se laisse endormir par les certitudes au lieu de rester vigilant. L’expression est à la mesure du mouvement profond qui, encore une fois, renvoie aux projets de sens ou peut-être aussi au projet d’être.

Je ne sais pas pourquoi !

- Je sais que je vais mal, mais je ne sais pas pourquoi !

C’est un moment de crise très chargé en émotion qui change de sens littéralement quand nous affirmons que cette crise n’est pas une impasse, mais plutôt un moment d’arrêt face à des choix à faire ou à ne pas faire, des attitudes à prendre ou ne pas prendre, des méthodes à garder ou à rejeter. Grâce à ce travail de questionnement, le jeune a pu mettre des mots pour vivre une distance, une appropriation, un sens. Ainsi l’émotion n’est plus simplement envahissante et finalement destructrice. Agir de la sorte c’est inviter le jeune à sortir du schéma de la passivité.

- Je suis comme cela, il n’y a rien à faire !

C’est encore une fois leur dire qu’il y a en eux un espace de liberté où chacun peut donner sens à ses élans, ses émotions, ses désirs… Nous voyons des transformations étonnantes et souvent un grand apaisement. Notons au passage le retentissement de ces changements sur le groupe dans lequel ces élèves vivent.

 Je n’avais jamais réfléchi à tout cela !

Les inviter à une prise de conscience, à une position « méta », c’est les inviter à se mettre en contact avec eux-mêmes, avec leurs projets de sens encore une fois. Pour beaucoup c’est une démarche nouvelle et donc parfois difficile mais toujours libérante, une démarche qui les aide à se situer autrement : « Je n’avais jamais réfléchi à tout cela ! »

C’est difficile, entre autres, parce que nous sommes en tant qu'intervenantes à la jointure entre l’individu et l’institution qui a ses règles de vie et de fonctionnement. Nous faire confiance n’est pas toujours facile.

Découvrir leur humanité est difficile parce que la réponse n’est écrite nulle part. Cette démarche se vit la plupart du temps dans la médiation où nous sommes nous-mêmes présentes avec tout ce qui fait notre chemin d’humanité.

Notre démarche oscille entre les projets de moyens et les projets de sens. Nous vivons les limites de notre action, limites institutionnelles et limites personnelles. Souvent, nous référons les jeunes à des spécialistes plus pointus dans certains domaines. Mais, dans notre démarche, nous nous situons résolument dans l’esprit de la gestion mentale par l’accueil inconditionnel du « rien », du « manque », du « peu » et de l’invitation au sens.

Réécriture par Pierre-Paul Delvaux d’un entretien avec Ruhina Dhalla et Marie-Thérèse Blocteur, intervenantes à St François-Xavier 1 à Verviers, Belgique.

Notes :

1. La psychanalyse accorde au « rien » une place première. Elle nous convie à faire de cette incomplétude notre bien le plus précieux.

2. Pour Edgar Morin, l’incertitude est l'un des sept savoirs. A propos des sept savoirs, Editions Pleins Feux, pp. 41 et suivantes.

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