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Gestion Mentale
des valeurs // des concepts // des pratiques

Témoignage de Vinciane Thomas


Paru dans la Feuille d'IF n° 13 de décembre 2006.
Six mois pour découvrir le bonheur d'apprendre et le plaisir de (se) connaître.

Cadres de l’action

- Contexte: l’IFRA (Institut de Formation Rhône-Alpes).

- Public: Des jeunes de 16 à 26 ans en décrochage scolaire total. Des jeunes sortis depuis plus de 6 mois du système scolaire et n'ayant aucune qualification validée

- Environnement Systémique des Jeunes: Rares sont ceux qui vivent au sein de leur famille. Lorsque c’est le cas, pour la majorité de ceux-là, l’environnement familial est peu « équilibré ». Beaucoup d’entre eux vivent en foyer ou passent de famille d’accueil en famille d’accueil. Certains sont indépendants mais connaissent de grosses difficultés financières. Quelques-uns sont à la rue…Les foyers, trop peu nombreux, leur sont parfois inaccessibles. Une grande solidarité entre ces jeunes est rapidement mise en place. L’un d’entre eux est en liberté conditionnelle et est autorisé à nous rejoindre de 7h30 à 17h30 avant de regagner sa cellule de prison. L’une d’entre elles fait partie d’une communauté des « Gens du Voyage ». D’avance, nous savons que le temps de présence parmi nous qui lui sera imparti est aléatoire.

- Contrat des Formateurs: Positionnement sur un MAPI (Actions de Mobilisation Autour d'un Projet d’Insertion) qui s'adresse à des jeunes ayant besoin de définir un projet professionnel. Les MAPI en alternance comprennent des périodes en centre de formation (5 semaines) et des périodes en entreprises (2 semaines).

- Fonctionnement:
Nous sommes 6 formateurs à prendre en charge durant 6 mois, un groupe de stagiaires d’horizons et de niveaux totalement hétérogènes ! Outre un noyau de départ, les jeunes nous arrivent en cours de formation au fur et à mesure que l’ANPE ou la Mission Locale nous les adresse, ce qui ne facilite en rien la cohérence du groupe et la possibilité d’installer un « fil conducteur » dans le programme de remise à niveau...
L’objectif est d’atteindre le niveau 3ème (brevet). (1)
Notre action vise à articuler diverses démarches de remise à niveau dans toutes les branches de base (français, histoire, géographie, maths, culture générale…) des démarches d’expression artistique, sportive et des démarches plus « administratives »

Pédagogie et image de soi : entre plaisir, introspection et réconciliation !

Pour ma part, j’ai en charge de réconcilier les stagiaires avec eux-mêmes et avec les exigences de leur environnement social. J’ai également pour mission de les réconcilier avec tout le domaine de l’apprentissage : français (lecture, grammaire, littérature, construction de textes…), histoire, géographie, culture générale, … Je suis totalement libre de choisir mes supports de travail.

Les matinées sont divisées en plusieurs parties :

1. Gestion Mentale : évocation, mise en projet, gestes mentaux… abordés simultanément en théorie et en pratique (exercices oraux, écrits).

2. Gestion Mentale et littérature (lecture et écriture), grammaire, culture générale (les grandes religions, les MST,…), histoire/ géographie (selon les nationalités des stagiaires et l’actualité)…

3. A chaque fois que l’occasion se présente, un Dialogue Pédagogique (court) s’installe entre un stagiaire et moi. J’incite les autres à se poser les mêmes questions « dans leur tête » et très vite j’ai des réflexions du style « Purée, j’ai compris comment ça marche dans ma tête »…

Notre travail étant axé sur la quête du sens et la découverte de soi, le plaisir se mêle progressivement à l’apprentissage. En français, par exemple, c’est ainsi que Rimbaud (La Bohême), est devenu le symbole de l’ancêtre du rap, Molière (l’Avare) celui des Guignols, La Fontaine (La cigale et la fourmi) celui du Muppet Show et André Breton (écriture automatique) celui de la liberté.

La découverte de l’utilité des champs sémantiques et lexicaux, métaphore, comparaison, devient un bonheur qui permet l’accès à l’envie de devenir soi-même auteur, en inspiration directe d’un texte ou d’un poème. Les Contes Rouges du Chat Perché de Marcel Aymé, L’homme qui lisait des romans d’amour de Paolo Sepulveda, Kiffe-Kiffe Demain de Faïza Guène et enfin Les objets fragiles de Pierre Gilles de Gennes sont autant de livres lus ensemble.

La lecture à haute voix, tant redoutée pour certains, devient petit à petit un jeu auquel très rares sont ceux qui se soustraient. Des fiches « Tintin » (éditions ATLAS) de culture générale (géographie, histoire, sciences, biologie, technologie) sont l’occasion de préparer un petit exposé. La prise de parole (tant redoutée) devant un groupe s’apprend sans regard critique ni jugement, souvent avec beaucoup d’humour, de manière à encourager tous les stagiaires à présenter leur document.

En fin de chaque mois, nous visionnons un DVD qui ouvre sur un débat : Va ,Vis et Deviens de Radu Mihaileanu, Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet ou L’Esquive d’Abdellatif Kechiche.

Pour ce qui concerne la grammaire… Très rares sont les jeunes qui ont atteint un niveau CM2 en grammaire : fonction et nature se confondent et je ne parle pas des verbes accordés et des noms conjugués… Pris au jeu et séduits par la découverte de « La Grammaire Française à son Aise» (2), visiblement plus accessible que celle rencontrée naguère sur les bancs de l’école, les jeunes, m’ont aidée à construire le « Théâtre de la Grammaire Française » en trois dimensions et se sont entraînés par équipe à l’utiliser dans le but d’aller la présenter à des élèves d’une école primaire d’Aix–les-Bains.

A leur demande, je leur ai fait passer un brevet fictif pour réévaluer leurs connaissances en Français, Mathématique, Histoire/Géographie et Culture Générale. L’angoisse des notes, bien qu’encore existante, n’était plus la même émotion de panique éprouvée à l’époque de leur scolarité mais une sensation « excitante » de joie face aux progrès accomplis !

Résultats observables :


Sur 12 élèves du MAPI 2005, 7 ont décidé de reprendre des études : Aide soignant(e), CAP petite enfance, CAP vente, CAP esthéticienne, Terminale Bac Pro, Maître chien, Ouvrier en Sérigraphie, etc. Leurs situations précaires les poussent souvent à opter pour une formation en alternance avec maître de stage, formule leur assurant un revenu minimum et une facilité d’accès à plusieurs types d’allocations. Une élève, déjà enceinte lorsqu’elle nous a été adressée, a terminé le stage avec cette phrase merveilleuse : « Pour moi, je pense que c’est trop tard d’aller étudier mais j’aurai moins peur quand mon enfant ira à l’école et je pourrai lui dire que c’est pas si difficile de bien apprendre. Peut-être même que j’arriverai à l’aider ? ». (Cette jeune de 19 ans lisait à peine et les 4 opérations de base lui étaient quasiment inaccessibles !)

Tous les parcours de nos stagiaires ne se soldent pas par la réussite…malheureusement. Nous avons en général un ou deux stagiaires qui ne « décollent » pas autant que souhaité (par nous… ?). Trop fragiles psychologiquement, parfois à peine sortis de l’hôpital de jour en séjour psychiatrique ou sous traitement lourd, leur disponibilité mentale n’est pas suffisante pour renouer avec l’apprentissage ou leur permettre d’élaborer un projet d’avenir. Pour ces jeunes, s’ils le souhaitent, nous demandons à ce que leur soit accordé la possibilité de rester avec nous pour un second MAPI. Ils témoignent souvent une belle reconnaissance face au non jugement et à l’écoute qui a été nôtre durant leur 6 mois de stage.

Et la Gestion Mentale là-dedans ?

Chaque stagiaire bénéficie d’un entretien profil, dès son arrivée au MAPI (environ 1h30). Souvent très fermés et sur leur garde lorsqu’ils arrivent il faut rarement beaucoup de temps pur les mettre en confiance et leur faire entrevoir l’apport bénéfique du dialogue pédagogique. Je les assure toujours de la confidentialité et du non jugement de leurs propos.

Lorsqu’ils sont en souffrance affective et émotionnellement très fragiles, j’utilise mes connaissances en ennéagramme (3) pour les amener à l’émergence d’une meilleure connaissance et compréhension d’eux-mêmes.

Par un travail d’introspection en Gestion Mentale, je les aide à se découvrir et aller à la rencontre de leur type de personnalité et ainsi à mieux se comprendre et mieux accéder à la compréhension de leur rapport à l’entourage. Lorsqu’ils se sentent prêts et familiarisés avec le Dialogue Pédagogique, la démarche de l’entretien profil peut évoluer vers l’émergence de leur Projet de Sens. L’Entretien Profil peut se faire en plusieurs étapes, ce qui est généralement le cas : au fur et à mesure que les semaines passent, la plupart des stagiaires me demandent un entretien individuel pour aller plus loin dans leur démarche de « connaissance de soi ». Ils me livrent leur histoire à petite dose et, si dur soit-elle, je les encourage toujours à ne pas en être la victime ! Là encore, l’outil de l’ennéagramme apporte des propositions concrètes de remédiation. (4)

Lors des pauses (deux par matinées de 20 minutes chacune) je reste dans mon bureau où ils savent pouvoir venir me trouver pour « parler un peu ».

Mon choix en cohérence avec l’écoute et le vivre ensemble

Si mon choix se porte sur la « connaissance de la personnalité et la compréhension affective de soi » avant celle du chemin mental pédagogique au service de leur apprentissage, c’est tout simplement que l’expérience m’a prouvé combien il est peu utile de viser l’adhésion à une réconciliation « scolaire » si l’on feint d’ignorer toutes les causes de leur échec scolaire.

Au début de MAPI, les jeunes se regardent en chien de faïence et ont entre eux des relations très «à couteaux tirés ». Ils s’adressent la parole avec beaucoup de provocation (vocabulaire trivial et vulgaire), les menaces sont monnaie courante.

La plupart sont « à fleur de peau », la colère les guette et la susceptibilité va bon train. Un rien pouvant faire exploser la situation, l’homogénéité du groupe s’en ressentirait. Dès les premiers instants, je solidarise le groupe autour de la CNV (communication non violente). "Tel que nous (les formateurs) vous respectons par le langage utilisé, je vous demande de vous respecter l’un l’autre". J’expose ma manière de les « reconnaître » comme non coupables de leurs échecs et les encourage à un profond respect mutuel : ni concurrence, ni jugement, ni coup bas. Je suis draconienne sur le respect des horaires : 5 min de retard sans justificatif et je marque absent, avec pour conséquence une perte de salaire de 35 € journalier. J’exige un maintien assis correct, j’interdis les portables et ne les laisse jamais quitter les lieux avant d’avoir tout mis en ordre (vaisselle de la pause café comprise). Des mandalas sont toujours à leur disposition et durant le travail en autonomie, je tolère les MP3 lorsqu’ils ne distribuent pas des musiques trop bruyantes.

Je veille régulièrement à répondre « je ne sais pas » à l’une de leur question (grammaire, histoire, géographie…) Le fait de chercher ensemble la réponse crée un rapprochement et exprime ma non supériorité par rapport à eux.

Avec ces jeunes, tout est émotion, tout est sans cesse à construire. Ils donnent l’image de « gros durs » derrière lesquels se cachent de « gros bébés ». Les quelques mois qu’ils passent avec nous sont riches d’évolution : ils se regardent autrement, la confiance en eux naît lentement mais sûrement. Doucement, ils s’ouvrent à une envie de réalisation de projets positifs et porteurs d’avenir riche dans un parcours « non victimes » qu’ils croient possible à présent !

Pour terminer, je voudrais souligner l’essentiel de ce qui permet la réussite :

1. la complémentarité et l’articulation des démarches d’accompagnement
2. l’attitude (l’éthique) des accompagnateurs (le non jugement et le respect mutuel)
3. l’apport spécifique de la gestion mentale (le non jugement et la prise de conscience/confiance)

Vinciane Thomas

Notes :

(1) En France : 5 années de primaires sont suivies de 4 années de collège suivies encore de 3 années de lycée. En fin de collège, une « évaluation nationale » a lieu, c’est le « brevet des collèges ». Sans être une porte d’entrée au lycée, certaines grandes écoles l’exigeront pour l’accès à leur établissement.

(2) Maquette exposée à l’Université d’été de la Baume, juillet 2006

(3) L'ennéagramme est un modèle de la structure de la personne humaine. Ce modèle aboutit à neuf configurations différentes de la personnalité, neuf manières de se définir. Chacun d'entre nous a tendance à donner dans sa vie la priorité à une de ces images de soi. En étudiant les conséquences de ce choix, l'Ennéagramme donne une description très précise de la psyché humaine et permet d'expliquer et/ou de prévoir, avec une fiabilité étonnante, notre attitude face aux diverses circonstances de la vie. Pour en savoir plus lire de René de Lassus, L’ennéagramme, les 9 types de personnalités, Marabout

(4) En ennéagramme, l’individu qui apprend à se connaître, apprend aussi comment ne pas se laisser piéger dans les excès de ses tendances (facilités, dons) et ses limites (défaut, difficultés).La connaissance de soi facilite par la suite l’entrée en relation avec l’autre, le groupe, la société.

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