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Gestion Mentale
des valeurs // des concepts // des pratiques

Témoignage de Dominique Duchâteau, logopède


Paru dans la Feuille d'If n° 22 de juin 2011.

Une expérience qui élargit l'empathie.

Ce témoignage raconte une expérience personnelle difficile. Elle débouche sur un profond changement éthique dans la relation humaine et pédagogique et la gestion mentale a permis de mettre des mots sur ce vécu de conscience. C'est à double titre que ce témoignage a sa place dans la Feuille d'IF.

Il y a quelques années, j'ai été victime d'un anévrisme. Plusieurs interventions chirurgicales ont été nécessaires et elles ne se sont pas bien passées, il y a eu des lésions et quand j'ai voulu retravailler, je me suis aperçue que j'oubliais au fur et à mesure ; quand je lisais, quand on me parlait, quand il y avait du bruit, je ne parvenais plus à comprendre mon interlocuteur.

Je suis allée consulter une neuropsychologue pour savoir ce qui se passait : mon empan s'était réduit à deux mots ce qui est à peine pensable... d'autant que la logopède que je suis sait ce que cela veut dire. Le monde s'est littéralement écroulé. Le métier que j'adore ne serait plus possible.

C'est alors qu'il s'est passé quelque chose de significatif. La neuropsychologue était incrédule et agacée. « Croyez-vous que je le fais exprès ? »

Mon interlocutrice a senti la profondeur de ma protestation et en a parlé à la réunion d'équipe. C'est là que l'hypothèse d'une perte des traces phonologiques a été émise. On a fait les tests nécessaires et il s'est avéré que je perdais au fur et à mesure la trace des sons et si je perdais la trace des sons, je n'étais plus capable de les répéter : deux mots c'est pas mal de sons et plus de 2 mots ce n'était plus possible.

Tout ceci veut dire que les organes des sens fonctionnaient correctement – j'ai d'ailleurs fait un test ORL. Les sons arrivaient au cerveau, mais ils n’étaient pas traités. Pour comprendre ceci on peut penser à un ordinateur qui ne traite pas les données qu'on y introduit.

Ce qu'on ne m'avait pas dit – parce que c'était une évidence pour l'équipe soignante – c'est qu'une récupération était possible. Tout ceci s'est passé juste avant les fêtes de fin d'année. Il a fallu attendre la mi-janvier pour savoir qu'une issue était ouverte. J'ai vécu des jours terribles. J'ai touché le fond de la piscine et puis j'ai réagi. C'est la deuxième fois que cela m'arrivait. Chaque fois, je vis les événements dans une grande vulnérabilité, puis une réaction très forte s'impose. C'est sans doute parce que j'accueille ce premier moment, que j'accepte de vivre cette vulnérabilité que la force peut se manifester ensuite. Avant j'étais une forteresse. J'y reviendrai.

Quelques semaines plus tard, à la mi-janvier, la rééducation a commencé. C'était un nouveau programme. L'équipe soignante était persuadée qu'il y avait moyen de ré-encoder les traces phonologiques. Cela a été très dur. J'étais très bas. Je n'avais plus confiance en mes capacités. Les débuts ont été très lents. La neuropsychologue m'a donné la cassette pour que je puisse la pratiquer à la maison de façon à diminuer l'angoisse de l'échec face à elle. Je me suis entraînée et devant elle j'y arrivais. Malgré cela l'évolution était lente.

Dans ce parcours, un défi s'est présenté et je l'ai relevé. On m'a invitée à parler de mon métier dans une école de logopédie et en particulier d'un domaine qui me tenait à cœur. J'ai voulu parler de la gestion mentale tant celle-ci m'avait éveillée au monde intérieur. J'avais tout écrit, j'avais peur de l'échec et cela s'est très bien passé. Cette réussite m'a rendu confiance et j'ai fait un bond significatif dans ma rééducation. Je l'ai donc continuée en faisant des liens d'expérience avec la gestion mentale. J'ai pris conscience de la puissance de l'évocation, du projet, des gestes mentaux.

Maintenant j'ai bien récupéré et je peux à nouveau exercer mon métier, mais je ne suis plus la même. C'est du domaine de l'expérience et non du savoir. Pour moi le savoir est ce qu'on peut comptabiliser, empiler comme des livres dans une bibliothèque. Une expérience passe par tout l'être.

J'ai forcément été encline à relire tout ce qui m'est arrivé avec un peu de recul. Une amie m'a invitée explicitement à m'écouter moi-même, à écouter mon corps et je me suis littéralement ouverte à moi-même. J'ai profondément accepté d'être aidée et, je dirais même, d'être aimée. Avant j'étais une forteresse, j'étais tout le temps dans le devoir. Maintenant je me permets de sentir d'abord en sachant que la force viendra ensuite. Cette petite phrase résume bien mon fonctionnement.

C'est comme cela que j'écoute les autres tout en tenant compte des limites qui sont les miennes, puisqu'il y a tout de même quelques petites habiletés que je n'ai pas récupérées.

Ce qui a changé très concrètement, c'est une plus grande attention à l'autre. Ainsi quand je présente un exercice je me demande si je ne mets pas l'autre en position trop fragile. Avant je ne me posais pas trop la question : tel dysfonctionnement correspondait à telle démarche et donc à tel exercice.

Mon élan vers les autres a changé. C'est une posture éthique. La connaissance que j'ai retirée de tout ceci est la priorité que je donne désormais au côté humain, quitte à être aux limites de la transgression. J'ose poser la question de l'humain au-delà des cadres que je connais et que je reconnais.

Je voudrais terminer par quelques mots qui résonnent très fort pour moi : C'est quand tu chantes pour toi-même que tu ouvres pour les autres l'espace qu'ils désirent. Eugène Guillevic

Propos recueillis et mis en forme par Pierre-Paul Delvaux, mai 2011

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